« Devoirs faits », un dispositif qui interroge

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Dans une interview au Point sur les mesures qu’il compte mettre en place pour l’école dans les mois à venir, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer dit déplorer la "querelle stérile" entre "ceux qui affirment que les devoirs sont indispensables à une qualité de l’apprentissage et ceux qui y voient un risque d’accroissement des inégalités sociales."

Pour lui, "les deux ont évidemment raison. Il est important que chaque enfant puisse travailler individuellement, au calme, pour faire des exercices, répéter ses leçons ou exercer sa mémoire et son sens de l’analyse". Il ajoute qu’"il est évident aussi qu’il y a des disparités entre les élèves suivant la situation familiale." Pour lui, il faut donc une "ligne claire" : il doit y avoir des devoirs et ils doivent pouvoir être faits au sein de l’établissement grâce à un temps d’étude accompagnée. Le ministre veut mettre en place un dispositif qui s’appellera "devoirs faits".
 
On peut saluer la louable intention de combattre les inégalités entre élèves en termes d’accompagnement et de ressources en permettant à tous de pouvoir effectuer leurs devoirs au collège et de rentrer à la maison, « devoirs faits ». Les moyens de la mise en œuvre de cette mesure ne sont pas très clairs. S’adressera-t-elle à tous les élèves ou aux seuls volontaires ? Fera-t-on appel aux enseignants, aux assistants d’éducation, aux associations, aux bénévoles ? Apparemment, à tous…

Le ministre a parlé d’un créneau de 16 à 18 heures tous les soirs. Outre que les journées sont déjà très longues, l’organisation des transports scolaires en milieu rural rend ce modèle inapplicable. De quelles marges de manœuvre budgétaires disposera le ministre pour financer ce service ? L’accompagnement éducatif s’est réduit comme peau de chagrin faute de financements depuis plusieurs années, ne subsistant plus que dans les collèges de l’éducation prioritaire.
 
Au SE-Unsa, au-delà de la question des inégalités entre les élèves en termes d’accompagnement et de ressources pour effectuer le travail qui leur est demandé après la journée scolaire, nous interrogeons depuis plusieurs années la pertinence et l’efficacité des devoirs à la maison pour les apprentissages. L’externalisation du travail personnel hors des heures de classe et plus largement du temps scolaire est une pratique très ancrée. Pourtant, elle n’a pas fait la preuve de son efficacité.

Nous écrivions en 2012 sur notre blog : « Il faut en terminer avec la notion même de « devoirs » pour mieux définir le travail personnel de l’élève au quotidien, ainsi que les tâches menées dans un cadre collectif (la classe) voire coopératif. Toutes doivent être réalisables et réalisées sur le temps scolaire, selon des modalités qui peuvent varier d’un niveau à l’autre, d’un lieu à un autre, mais qui doivent être coordonnées et accompagnées. Le travail personnel doit surtout mener l’élève à devenir autonome. »
 
Nous sommes convaincus que personne ne peut faire le travail d’appropriation des savoirs scolaires à la place des élèves et qu’il faut leur donner des occasions multiples de s’entraîner, de mémoriser, de mettre en relation les notions travaillées en classe. Définir ces tâches qui permettent les apprentissages fait partie du travail pédagogique des enseignants. Suivre les élèves en train de les accomplir est un moyen important de repérer les difficultés et donc d’y remédier. Les sous-traiter à des intervenants qui n’en maîtrisent pas forcément les enjeux, c’est passer à côté de ce repérage et prendre le risque que les objectifs poursuivis par le travail assigné ne soit pas compris et qu’il soit réinterprété de façon contreproductive.

Le travail personnel donné aux élèves doit tenir compte de leur âge et de leur degré d’autonomie. Les premières années d’école primaire, ce travail doit être effectué dans la classe sous le contrôle de l’enseignant. Progressivement, certaines tâches peuvent être effectuées en autonomie, l’autonomie consistant à savoir identifier l’aide dont on a besoin et où on peut la trouver.

Les défenseurs des « devoirs » disent qu’ils sont un lien entre l’école et la famille. C’est vrai, mais ce lien est loin d’être positif pour tous. Il faut trouver d’autres moyens pour rendre compte aux familles des apprentissages menés et leur permettre de s’impliquer. Les cahiers des apprentissages, dans lesquels les élèves consignent l’essentiel de ce qu’ils ont appris pour pouvoir en parler en famille, les reportages photo ou vidéo, qui permettent aux parents de comprendre comment on apprend dans la classe sont des exemples de pratiques intéressantes.
 
Pour poursuivre la réflexion :