« Choc des savoirs » : le manuel labellisé est-il un petit livre rouge pédagogique ?
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230 000 professeurs et personnels pédagogiques ont répondu à la consultation de la mission Exigences des savoirs. Selon le document de proposition stratégique de la mission, la majorité des enseignants réclament une organisation plus souple qui permette une réponse adaptée aux besoins de leurs élèves. Parmi les répondants, 70 % des professeurs des écoles souhaitent disposer d’un manuel pour les aider dans la transmission des connaissances.
Des manuels labellisés obligatoires en primaire ?
Parmi les annonces, il y a la labellisation des manuels scolaires de l’école au lycée par des tiers certificateurs, à partir d’objectifs définis par le ministère, suivant les programmes et les méthodes pédagogiques déclarées efficaces par les recherches du Conseil scientifique de l’Éducation nationale.
Les premiers textes règlementaires présentés n’imposent pas l’utilisation des manuels labellisés. Cependant, l’apposition d’un label va nécessairement influencer les choix des éditeurs et pourrait amener des tensions dans la communauté éducative, que ce soit au sein des équipes pédagogiques comme avec les familles.
Besoins et repères
Bien que le manuel, labellisé ou non, puisse faciliter le partage de connaissances communes, son utilité peut être remise en question dans le contexte d’une recherche de solution adaptée aux besoins diversifiés des élèves, au-delà du simple niveau de classe. La rigidité du contenu d’un manuel labellisé limite la variété des approches pédagogiques et la complexité de la mise en situation des apprentissages des élèves. En ce qui concerne le niveau de maîtrise des élèves, dans le contexte d’un manuel, il est plus fréquemment évalué par rapport à la norme attendue plutôt que par rapport à la progression individuelle vers la maîtrise de la compétence. D’ailleurs la mission annonce des objectifs annuels, voire infra-annuels.
On peut être tenté d’espérer une équité sur le territoire puisque tous les élèves devraient avoir accès aux mêmes types de manuels. Mais la labellisation risque de conduire à une uniformité, voire une rigidité pédagogique incompatible avec le principe de l’inclusion et de l’École pour tous.
Processus de labellisation
On peut aussi craindre que les étapes de labellisation entraînent une lourdeur dans la mise à jour des manuels, les rendant rapidement obsolètes face aux avancées de la recherche, ou bien que les éditeurs soient amenés à céder à un certain conformisme pour obtenir le label, au détriment de la créativité et de l’innovation pédagogique. Dans le pire des cas, on peut redouter que des pressions commerciales ou politiques viennent perturber la labellisation et que les tiers certificateurs soient influencés ou en conflit d’intérêts.
Seul point positif, dorénavant en CP, comme c’est le cas dans le second degré, les manuels seront financés par l’État, ce qui fera disparaitre les inégalités territoriales actuelles. Cependant, les autres niveaux de l’école élémentaire ne sont pas concernés et aucune ligne budgétaire n’apparaît dans le projet de loi de finances 2024 alors que les premiers manuels de lecture labellisés sont annoncés pour le CP dès la rentrée 2024 !
La labellisation est déjà programmée pour le CP en français et en mathématiques mais pour le moment, il n’y a pas de projection pour les autres niveaux et disciplines.
L’avis du SE-Unsa
Pour le SE-Unsa, l’approche par compétences est indispensable, tant l’acte d’enseigner et de transmettre dépend de facteurs contextuels multiples et ne peut être standardisé. Elle préserve l’autonomie professionnelle des équipes éducatives et la liberté pédagogique, à la différence de l’imposition d’un manuel.
Pour le SE-Unsa, le manuel labellisé est un nouvel écran de fumée destiné à faire oublier que la première réponse adaptée aux besoins des élèves, ce sont des professeurs suffisamment et régulièrement formés à la prise en compte des besoins spécifiques de leurs élèves, notamment des élèves fragiles ou à besoins éducatifs particuliers. Un manuel, aussi labellisé soit-il, ne sera jamais adapté à chacun des élèves de la classe. Le manuel, labellisé ou pas, est compatible avec le fantasme d’une maîtrise des savoirs et des compétences qui pourrait être à horodatage identique pour tous et toutes dans un niveau de classe.
Dans les instances où les textes sont présentés, le SE-Unsa se positionne contre la labellisation telle qu’elle est proposée. Pour nous, la conformité aux programmes nationaux et l’expertise des enseignant·es sont suffisantes. C’est pourquoi nous avons demandé un dialogue social autour du référentiel qui sera produit par le Conseil scientifique de l’Éducation nationale, de façon à nous assurer qu’il ne cache pas de prescriptions restrictives de méthodes.
Faut-il attendre les prochains résultats d’évaluations pour se rendre compte que les élèves de CP du territoire ne maîtriseront pas tous le chapitre 1 du tout dernier manuel de lecture labellisé le 9 septembre 2024 et encore moins le chapitre 36 au 4 juillet 2025 ? Non. Les enseignants le savent déjà.
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