Ne laissons pas nos enfants aux mains des gourous scolaires !

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Cet article a été initialement écrit pour la revue de l’UFAL (Union des familles laïques), il est republié ici avec son aimable autorisation. Il est possible de se procurer le numéro complet ayant pour thème « La raison laïque contre l’obscurantisme » en suivant le lien.
 
Enseignante et militante syndicale à l’Unsa, j’ai récemment découvert avec effarement ce qui se joue à travers les écoles Steiner-Waldorf. Il y a en France une vingtaine d’écoles de ce type qui concernent pas loin de 2 500 élèves[1] et leur image est a priori positive pour le grand public… Or, quand on creuse un peu la question on découvre que ces écoles, initiées par Rudolf Steiner, font partie intégrante d’un mouvement ésotérique, qui se dit philosophique, appelé l’Anthroposophie[2]. Ce mouvement a une grosse sphère d’influence peu apparente via des branches dans la médecine, l’agriculture (la biodynamie), la banque et donc l’Éducation.
L’Anthroposophie souhaite populariser la capacité de perception spirituelle permettant l’accès à des mondes supérieurs. Cette perception du monde spirituel se veut moderne et scientifique, les anthroposophes parlent donc de « science spirituelle ».
L’objectif est que cette capacité de perception spirituelle permette la transformation de la société toute entière en la « fécondant » secteurs par secteurs. C’est pour cela qu’il y a une éducation fécondée par la science spirituelle : la pédagogie Steiner-Waldorf ; une agriculture fécondée par la science spirituelle : la biodynamie ; un système bancaire fécondé par la science spirituelle : les banques issues de l’anthroposophie ; des arts fécondés par la science spirituelle : l’eurythmie, le chant Werbeck, l’art dramatique anthroposophique, etc. Le but ultime est de créer une nouvelle civilisation remodelée par l’Anthroposophie.
 
En fait, ce que l’on appelle la pédagogie Steiner n’est en rien une pédagogie, c’est un fatras de considérations liées à des éléments ésotériques comme le karma, la réincarnation, les différents corps (physique, éthérique, spirituel…), les signes du zodiaques… les consignes de Steiner sont péremptoires car issues de révélations et elles sont toujours à l’oeuvre dans les écoles[3]. Derrière le discours séduisant de la créativité et du respect du rythme de chaque enfant on a en réalité un empilement de croyances, de dogmes et de règles. Il faut par exemple attendre la seconde dentition, donc 7 ans environ, pour aborder l’apprentissage de la lecture dans les écoles Steiner-Waldorf, car cela correspond au moment où le corps éthérique se développe ce qui permet une première approche de l’abstraction. Pareillement, il faut attendre la puberté et le développement du corps spirituel pour commencer à faire raisonner les élèves. Tout apprentissage trop précoce est vécu comme étant dangereux pour le karma[4].
Dans ces écoles, les enfants sont catégorisés en fonction de leur tempérament : colérique, sanguin, mélancolique et flegmatique[5]. Ces étiquettes sont figées et définitives… enfin jusqu’à la prochaine réincarnation… On est donc dans une conception « toute particulière » de la prise en compte des individualités. Bien évidemment ces catégorisations, les activités quotidiennes comme les « paroles » (en fait des prières) et l’eurythmie (rite ésotérique dansé), les enseignements pseudo-scientifiques (des liens entre le corps humain et les signes du zodiaque, les îles britanniques qui flottent sur l’eau…) et beaucoup d’autres ingrédients ésotériques sont absents des descriptifs des projets des écoles, masqués vis à vis de l’extérieur et en grande partie vis à vis des parents aussi. Il est fort probable que la plupart des parents, s’ils avaient connaissance des fondements, du but et des croyances transmises dans les écoles Steiner, ne dépenseraient pas quelques milliers d’euros par an pour y scolariser leurs enfants. Tout cela est flou, discret, justifié au cas par cas par une vision spirituelle de la science que tout le monde ne serait pas capable d’appréhender.
Nous avons de toute évidence affaire à des écoles confessionnelles (mais l’Anthroposophie refuse de s’afficher comme étant une religion) et non conformes aux valeurs de la république ni même en terme de sécurité des enfants. En effet, l’incitation à éviter les vaccins (très mauvais pour le karma), une très grande proximité professeurs/élèves et une politique de non-intervention quand des enfants en agressent d’autres sont à l’origine de nombreux problèmes dans ces écoles[6]. Quand il y a un scandale qui éclate (propos racistes d’un professeur, maltraitances ou agressions sexuelles, rituels religieux démasqués, harcèlement entre enfants non géré par les adultes…) les responsables des écoles dénoncent un errement isolé d’un enseignant qui aurait dérapé. Comme par hasard ces « dérapages isolés » sont toujours en adéquation avec une position controversée de Steiner… les exemples sont extrêmement nombreux !
 
J’ai bien conscience que les écoles Steiner-Waldorf ne sont pas les seules à poser de graves questions, d’autres établissements hors contrat et parfois sous contrat sont concernés. Les contrôles de l’institution semblent jusqu’à aujourd’hui très peu efficaces pour détecter les problèmes et forcer les écoles à remédier à ces situations dangereuses.
Il y a aussi de nombreuses alertes concernant des propositions d’ateliers péri-scolaires touchant par exemple à la méditation, à l’expression artistique, à la gestion des émotions et même concernant les dangers des écrans !
 
Il me semble nécessaire de s’interroger sur ce qui attire les parents vers ces écoles dites « alternatives » et ces activités d’un nouveau genre…
 
Je vois à cela deux raisons principales : le discours général déploratoire sur notre école publique et la non publicité, voire le rejet, de démarches originales dans les classes.
En effet le discours ambiant est très négatif concernant l’école publique, on ne parle que de ce qui ne va pas et très rarement de tous les projets formidables qui y sont menés et du travail remarquable de l’immense majorité des enseignants. Certes elle n’est pas parfaite et a des progrès à faire... chaque enfant qui s’y sent mal, incompris, en échec pousse ses parents à chercher autre chose et deviendra lui-même un parent méfiant vis à vis de l’école républicaine. Mais pour y avoir enseigné pendant une vingtaine d’années, dans des quartiers jugés difficiles, je peux témoigner de la grande bienveillance de l’immense majorité des enseignants, de leur capacité à trouver sans cesse des nouvelles idées pour faire progresser leurs élèves et de leur extrême attention à inclure tous les élèves quels que soient leurs origines, leurs difficultés ou leurs handicaps. Malgré cela on n’entend parler sur les médias et sur les réseaux sociaux que des violences, du niveau qui baisse et de la perte du goût de l’effort par la jeune génération.
 
Il ne s’agit pas de dire que tout va bien, qu’il n’y a pas de problème dans les écoles mais d’équilibrer les choses et de les remettre en perspective. Il y a de nombreux projets porteurs qui motivent les élèves et les font progresser, des équipes qui se mobilisent pour améliorer le climat scolaire dans leur établissement, des chercheurs qui ouvrent de nouvelles pistes pour réduire les inégalités scolaires, des domaines dans lesquels les élèves progressent…
Se contenter du discours déploratoire c’est ouvrir un boulevard à la fois aux officines privées et aux dérives sectaires de tous poils qui s’empressent de proposer la bienveillance, l’adaptation à chacun et l’efficacité qui seraient forcément absentes de l’École publique.
Cet engouement est d’autant plus facile à générer qu’il y a certains enseignants, et même parfois des ministres de l’Éducation nationale, adeptes du « c’était mieux avant ». Ils rejettent allègrement toute pédagoqie qui ne serait pas « classique » (celle qui selon eux aurait fait ses preuves depuis toujours), ils accusent ceux qu’ils appellent de façon péjorative les « pédagogistes » d’être responsables du déclin de notre École, alors que c’est ceux-là même qui cherchent à adapter l’enseignement au monde d’aujourd’hui, aux nouveaux défis à relever (comme la massification de l’enseignement et l’intégration des enfants en situation de handicap) et aux attentes légitimes des parents en termes de bienveillance et d’individualisation. Ce rejet de toute nouvelle approche, démarche... dans l’École publique c’est aussi cela qui pousse les parents à chercher ailleurs des choses qu’ils pensent meilleures pour leurs enfants et qui rend si discrets ceux qui osent faire avancer les choses dans leur classe ou leur établissement car il est mal vu d’avoir l’air de baisser les exigences en étant plus ludique, coopératif, attentif ou en supprimant les notes pour un système d’évaluation plus parlant pour les élèves.
 
En conclusion, dans l’École publique, il faudrait pouvoir placer un curseur de façon équilibrée et raisonnable, en le réajustant si nécessaire entre « toute alternative nouvelle est bonne à prendre » et « rien ne doit bouger par rapport à nos habitudes ancestrales », ce serait la meilleure façon de couper l’herbe sous le pied des gourous peu fréquentables et dangereux qui portent atteinte à la liberté de conscience de nos enfants et nos jeunes. Il est essentiel pour former des citoyens de dégager des espaces scolaires pour agir librement, choisir librement et penser librement. Chacun de nous, de là où il est peut veiller à ne pas contribuer de manière unilatérale au discours négatif sur notre École publique, en rappelant toujours que tout n’y est pas noir, qu’il s’y passe aussi des choses enthousiasmantes et qu’elle peut progresser.
 

Stéphanie de Vanssay

  
[1] Site de la Fédération - Pédagogie Steiner-Waldorf en France
[3] Site La Vérité sur les écoles Steiner-Waldorf de Grégoire Perra, Catégorie : Les cahiers et les devoirs des élèves Steiner-Waldorf
[4] Rudolf Steiner, L’Éducation de l’Enfant au point de vue de la science spirituelle, Éditions Alice Sauerwein, Paris 1922
[5] Rudolf Steiner, « Culture Pratique de la Pensée - Nervosité et le Moi - Tempéraments », 4ème édition, Éditions Anthroposophiques Romandes, Genève 1994
[6]« Le Monde, » Quand la rougeole envahit l’école”, 21/01/2016