Inégalités scolaires : à qui la faute ? - 3 questions à Jean-Paul Delahaye
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Issu d’un milieu extrêmement modeste, Jean-Paul Delahaye a occupé de hautes fonctions au sein de l’Éducation nationale. Alors que rien ne le prédestinait à ce parcours, il revient sur sa vie d’enfant pauvre dans son livre Exception consolante*. Ce titre est aussi une formule employée par Ferdinand Buisson pour qualifier les élèves boursiers qui arrivent quelquefois à percer dans un système essentiellement construit pour que chacun reste bien à sa place.
Le SE-Unsa lui pose trois questions sur les inégalités scolaires.
Le SE-Unsa lui pose trois questions sur les inégalités scolaires.
Toutes les enquêtes nationales et internationales montrent que notre système éducatif se caractérise par les difficultés persistantes des élèves issus des milieux sociaux les plus précaires. À qui la faute ?
Les difficultés des enfants des milieux populaires sont de plusieurs ordres.
D’abord, il faut bien comprendre ce que la pauvreté fait à l’école : comment apprendre sereinement quand on est mal logé, mal nourri, mal habillé, moins bien soigné malgré les progrès de l’accès aux soins, quand vous n’avez pas d’argent pour payer la sortie scolaire ? Il y a donc une action sociale à conduire - sachant que bien sûr l’École n’est pas responsable de tout - pour par exemple remettre les fonds sociaux à niveau, revaloriser les bourses, assurer par la création de postes l’accompagnement social et de santé des écoles et établissements.
Ensuite, il faudrait mettre fin à la discrimination négative qui touche certains territoires. Je voudrais qu’on m’explique comment on peut parler d’égalité dans l’offre de formation que nous devons à tous les citoyens quand, dans un collège de banlieue, on n’a pas les moyens de remplacer les professeurs absents. Comment ose-t-on parler d’égalité des chances quand on dépense 45 fois plus pour l’accompagnement après la classe des étudiants des classes préparatoires que pour les élèves de l’éducation prioritaire ? Pourquoi certains parlent-ils de nivellement par le bas ou d’égalitarisme chaque fois que l’on veut construire du commun entre tous les enfants pendant la scolarité obligatoire ? On se souvient du tollé qu’a suscité le démarrage d’une deuxième langue pour tous en cinquième, de la part de ceux, de droite comme de gauche d’ailleurs, dont les enfants fréquentaient les sixièmes bilangues. Et on a rétabli en 2017 les sixièmes bilangues à la grande satisfaction de ceux qui veulent ménager, avec l’argent de tous, un parcours pour leurs seuls enfants.
En réalité, nous rencontrons beaucoup de difficultés à faire évoluer un système qui produit une élite quasi héréditaire qui se soucie assez peu de l’intérêt général, un système qui fonctionne par ordre au sens que cela avait sous l’Ancien régime. Cela ne veut pas dire que rien ne se passe. Mon propos n’est pas pessimiste. C’est certes difficile mais les choses bougent sur le long terme pour les enfants des milieux populaires.
Sous le précédent quinquennat, vous avez porté la semaine de 4 jours et demi au primaire. En quoi est-ce une mesure de justice sociale ? Pourquoi n’a-t-elle pu être pérennisée ?
La semaine de 4 jours, c’est l’échec de tout un pays et c’est un grand mystère. Comment la France a-t-elle pu compacter sur aussi peu de jours la scolarité de ses enfants de l’école primaire ? Vous remarquerez qu’aucun pays au monde n’a songé à nous imiter dans cette folie de 140 jours de classe par an, alors que la plupart des autres pays scolarisent leurs enfants du primaire sur environ 180 jours. Comme si le temps scolaire était chez nous un fardeau dont les adultes voulaient se débarrasser !
Ceux qui disent que quatre jours ou cinq jours d’école par semaine c’est la même chose sont soit des menteurs, soit des charlatans. Si je parle dans mon livre du temps scolaire c’est parce que j’ai bénéficié dans ma scolarité de la semaine de 5 jours de classe qui permettait des activités diversifiées. Il faudra bien un jour revenir à 5 matinées de classe avec des journées plus courtes et des activités éducatives offertes à tous les enfants. C’est comme cela qu’on met la jeunesse à égalité de droits.
Une enquête de la Depp a montré en 2017 que ce sont les familles des milieux populaires qui sont le plus attachées à la semaine de 5 jours. Elles savent bien, elles, que leurs enfants n’ont que l’école pour s’émanciper. Qui se soucie aujourd’hui de ce que font les enfants des pauvres le jour où ils ne sont pas en classe, eux qui ne vont pas au conservatoire ou au poney-club le mercredi, et encore moins dans les officines payantes de soutien scolaire ?
Votre mère, à qui le livre est dédié, a acheté un tourne-disque, puis un téléviseur d’occasion avec une partie de l’argent des aides sociales. Que pouvez-vous dire à ceux qui reprochent aux familles pauvres ce type d’achats ?
Je crois que tout a été dit sur cette sordide affaire. On ne peut qu’être consterné par l’ignorance que cela révèle de la vie quotidienne des familles populaires de la part de certains qui n’ont probablement jamais vu de près des pauvres, y compris pendant leur scolarité la plupart du temps protégée de la fréquentation des enfants du peuple. Aujourd’hui comme dans ma jeunesse, beaucoup de familles pauvres ne survivent que grâce à des allocations. Cela gêne quelqu’un ? Ces allocations ou ces aides ne sont pas des aumônes consenties par les puissants à des êtres inférieurs. C’est un mode de redistribution de la richesse collective qui n’est qu’une part de ce qu’il faudrait faire pour plus de justice sociale.
C’est d’ailleurs grâce à cette redistribution, même incomplète, que la France est un des pays capitalistes dans lequel les pauvres sont aujourd’hui moins maltraités qu’ailleurs. Cette idée que les pauvres dépenseraient mal cet argent est parfaitement scandaleuse. Ces gens-là ne savent pas ce que c’est un frigo vide, des factures impayées, l’humiliation de ne pas pouvoir vivre comme tout le monde, moi je le sais. Écouter des disques, c’est superflu ? Avoir une télévision, c’est un luxe ? C’est toujours aux pauvres que ceux qui n’ont pas de problème de fin de mois demandent des comptes.
L’École de la confiance ce n’est manifestement pas pour les pauvres. Et si on demandait aux riches ce qu’ils ont fait du cadeau fiscal reçu avec la suppression de l’ISF, eux qui devaient faire ruisseler cet argent dans l’intérêt général du pays ?
* Jean-Paul Delahaye, Exception consolante – Un grain de pauvre dans la machine, Éditions de la Librairie du Labyrynthe, 2021, 256 p. - 17 €