Réussite scolaire, l’impérieuse nécessité de mixité sociale : interview de Pierre Merle
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Chacun partage la nécessité éducative et démocratique de hisser vers la réussite les élèves des milieux sociaux les plus fragiles. Pour atteindre cet objectif, l’institut Montaigne avait préconisé les dédoublements de classes en REP et REP+. Cette proposition avait été reprise par le candidat Macron en 2017 et mise en œuvre par Jean-Michel Blanquer, après son élection à la présidence de la République.
Le SE-Unsa donne la parole à Pierre Merle, sociologue, professeur émérite à l’Inspé de Bretagne.
Est-il désormais possible d’établir un bilan de la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ ?
Un bilan a été récemment publié par la Depp*. Il est possible d’en tirer trois conclusions. D’une part, du CP au CE1, les élèves scolarisés dans les classes de REP et REP+ dédoublées progressent davantage en mathématiques que des élèves d’un niveau scolaire comparable scolarisés hors éducation prioritaire. Toutefois, seuls 20 % des élèves les plus faibles scolarisés dans les classes dédoublées progressent davantage. Les meilleurs élèves ne bénéficient pas du dédoublement. D’autre part, si le dédoublement est bénéfique en mathématiques pour les élèves les plus faibles, il n’exerce pas d’effets spécifiques sur leur niveau de compétences en français quel que soit leur niveau scolaire.
Pourquoi, selon vous, les dédoublements de classes semblent plus profitables à l’enseignement des mathématiques qu’à celui du français ?
C’est une question difficile. Il me semble possible d’avancer l’hypothèse suivante. Il est établi qu’il existe des différences sensibles de compétences lexicales selon l’origine sociale des élèves dès l’âge de deux ans (cf. INED, 2018). Contrairement aux mathématiques, le dédoublement des classes de CP et CE1 interviendrait trop tard pour réduire des différences de compétences sociolinguistiques entre élèves déjà importantes. En ce sens, le dédoublement des classes de grande section de maternelle aurait peut-être été plus pertinent. La politique menée a d’ailleurs été paradoxale. Elle a consisté à renforcer les apprentissages dès la grande section de maternelle sans améliorer les conditions de travail des élèves et des enseignants.
Pendant le précédent quinquennat, cette mesure a fréquemment été présentée comme un « totem d’immunité social ». Selon-vous, favorise-t-elle concrètement l’égalité des chances ?
Pour les 20 % des élèves faibles dont le niveau a progressé en mathématiques, cette politique a été utile. Cependant, cette politique de dédoublement est insuffisante pour trois raisons.
D’une part, elle ne concerne que le CP et le CE1 de l’éducation prioritaire. Les autres niveaux de l’éducation prioritaire n’ont pas été concernés. D’autre part, la majorité des élèves en difficulté scolaire est scolarisée hors éducation prioritaire. Telle qu’elle est actuellement mise en œuvre, la politique de dédoublement délaisse 88 % des élèves en difficulté scolaire scolarisés dans l’école élémentaire. Sa portée est donc très limitée.
Enfin, question complexe qui nécessiterait un développement plus précis, les pratiques pédagogiques mises en œuvre ne sont pas toujours les plus adaptées. Il existe une abondante littérature scientifique montrant qu’une pédagogie explicite favorise davantage les progressions scolaires des élèves qu’une pédagogie constructiviste trop souvent privilégiée (cf. Bissonnette et al., 2010).
Vous avez indiqué qu’en l’absence d’une politique de mixité sociale en France, la promesse d’égalité risque d’être sans lendemain. Pourquoi ?
Au niveau international, de nombreuses recherches ont montré les avantages de la mixité sociale. D’abord, les élèves d’origine défavorisée, en moyenne plus faibles, scolarisés avec des élèves d’un meilleur niveau scolaire, progressent davantage en raison d’un « effet de pairs » positifs. Les bons élèves sont des « locomotives » dans la classe. La mixité sociale favorise ainsi l’égalité des chances. Ensuite, la mixité sociale favorise les ambitions scolaires des élèves d’origine populaire et participe ainsi à leur meilleure intégration scolaire et professionnelle.
Cette politique de mixité sociale a fait l’objet d’expérimentations réussies au niveau des collèges sous le quinquennat de F. Hollande. La récente réforme de l’Affelnet parisien a aussi favorisé la mixité des lycées. Pour être approfondie, cette politique nécessiterait aussi une politique de logements sociaux plus active, notamment dans les quartiers des centres-villes. Cette politique a été délaissée durant les cinq dernières années.
Si la mixité sociale est identifiée comme un puissant levier de réussite scolaire, comment interprétez-vous les atermoiements des pouvoirs publics ?
Ni E. Macron ni J. - M. Blanquer n’ont favorisé une politique de mixité sociale. Ils adhèrent à une conception individuelle du succès scolaire. Les élèves « méritants » parviendraient toujours à réussir. Au mieux, il suffirait de réduire le nombre d’élèves par classe pour les élèves en difficulté. Ces politiques minorent ou ignorent les effets de pairs et les effets négatifs de la surreprésentation des professeurs peu expérimentés et des contractuels peu formés le plus souvent affectés dans les établissements de l’éducation prioritaire.
La réticence relative à la mixité sociale tient aussi à une volonté de l’entre soi, à une forme de mépris de classe, plus ou moins conscient, à l’égard des populations défavorisées et étrangères.
Les images du sauvageon, de la racaille et du Kärcher présentes dans l’imaginaire collectif, contribuent à cette réticence. L’actuelle ségrégation scolaire est une forme de séparatisme social. Elle permet aux enfants des CSP+ de bénéficier, de façon privilégiée, d’une scolarisation dans des établissements du centre-ville, mieux dotés en options, et dans lesquels sont affectés plus souvent des professeurs titulaires et expérimentés.
Les images du sauvageon, de la racaille et du Kärcher présentes dans l’imaginaire collectif, contribuent à cette réticence. L’actuelle ségrégation scolaire est une forme de séparatisme social. Elle permet aux enfants des CSP+ de bénéficier, de façon privilégiée, d’une scolarisation dans des établissements du centre-ville, mieux dotés en options, et dans lesquels sont affectés plus souvent des professeurs titulaires et expérimentés.
Pierre Merle, sociologue, professeur émérite à l’Inspé de Bretagne.
Dernier ouvrage : Parlons école, La Documentation française, 2021.
* Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance