Réformer le collège

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Dans ce livre à mettre entre toutes les mains, l'introduction de Pierre Merle pose d'emblée la problématique : concernant la réforme du collège, tout le monde est d'accord pour dire qu'elle est nécessaire mais dès qu'il s'agit de proposer des solutions concrètes, la foire d'empoigne n'est jamais loin.
Les sept courts textes qui composent ce livre permettent d'avoir une vision globale de ce que pourrait être une réforme, en posant sereinement les débats. On y trouvera également « quelques raisons d'espérer ».

Pierre Merle nous propose tout d'abord une « Petite histoire du collège », des lois Guizot de 1833 au collège unique actuel, car c'est sans doute dans cette histoire qu'on trouve la première pierre d'achoppement de toute réforme. Issu de trois cursus différents par leurs programmes, leurs pédagogies et leurs finalités, le collège peine à être réellement unique.
 
François Dubet se penche ensuite sur les difficultés qui attendent ceux qui osent s'atteler à réformer un collège en perpétuelle adaptation.
 
La première difficulté est d'ordre structurel
Le centralisme de l'Éducation nationale oblige, si l'on réforme, à réformer la totalité du système, de l'aval à l'amont. Inversement, la diversité des personnels et des représentations symboliques du métier de chacun, la multitude des instances qui ont leur mot à dire sur l'École, conduisent la plupart du temps au blocage. Alors on se contente de dispositifs qui, en s'additionnant, renforcent la complexité du système et l'immobilisme.

La seconde est d'ordre symbolique
L'avenir de l'École ne peut être qu'un retour à la supposée forme parfaite qu'elle avait autrefois. Fondée sur la suprématie des disciplines, dépositaire de l'idéal républicain, elle doit proposer une justice de l'élitisme et du « mérite », seule à même de lutter contre les forces destructrices de la mondialisation. En l'état, le système éducatif fonctionne plutôt bien pour ceux qui en ont les codes. Toute volonté égalitariste se heurte donc principalement à des oppositions car ceux qui en seraient les bénéficiaires n'ont pas souvent voix au chapitre.
 
Marie Duru-Bellat s'attache à analyser les tensions entre les différentes missions qui sont celles de l'institution scolaire (donner des connaissances et des valeurs aux futurs citoyens mais aussi les préparer à un avenir professionnel) et qui la conduisent à chercher tout à la fois à uniformiser et à différencier tout en pratiquant une hiérarchisation des élèves et des enseignements qu'ils reçoivent. À quel moment opérer la différenciation des parcours scolaires quand on sait que toute ségrégation renforce les inégalités ?
 
Anne Barrère place son regard au niveau des enseignants, qui font face depuis 20 ans à une succession bien rythmée de réformes. Tous les changements vont dans le même sens : faire sortir l'enseignant de sa classe stricto sensu (par le renforcement du travail en équipe et les partenariats, deux termes dont la définition et les limites ne font pas consensus) ; évolution pédagogique (vers un renforcement de la différenciation, le recours à la pédagogie de projet) ; renforcement de la prise en compte des compétences des élèves. Chaque étape renforce l'inquiétude des enseignants face à un sentiment de perte d'autonomie pédagogique et voit naître des stratégies de contournement voire de passivité, en espérant ralentir les évolutions redoutées. Pour s'engager dans la recherche de solutions, il faut d'abord s'accorder sur des problématiques identifiées et ne pas se sentir fragilisé par les réformes envisagées.
 
L'un des points qui ont cristallisé les critiques de la réforme actuelle du collège est celui de l'aide aux élèves. C'est le sujet du chapitre rédigé par Dominique Glasman. Si tout le monde s'accorde sur le constat d'une dégradation des performances des élèves français et sur la nécessité d'aider les élèves les plus en difficulté, la mise en œuvre des remèdes à cet état de fait ne fait pas l'unanimité. La tendance est à une internalisation des aides, aides qui restaient jusqu'ici à la porte de la classe, sous forme de soutien ou de tutorat, perdant beaucoup de leur efficacité. Individualiser l'aide se résume trop souvent à la focaliser sur les élèves les plus en difficulté, dans un empilement de dispositifs dont l'efficacité n'est pas prouvée. Faire véritablement de l'aide individualisée dans les classes nécessite également de la faire entrer dans la formation des enseignants. Cela demande aussi que l'on se libère du « boulet de l'évaluation » sans renoncer aux exigences en termes de connaissances.
 
L'affectation des élèves est un également un sujet hautement sensible et Pierre Merle pose avec simplicité les enjeux. Entre un modèle qui laisse le libre choix aux familles et un système réglementé par une carte scolaire, le système français se place à mi-chemin par le biais des dérogations et de l'existence d'un système éducatif privé. Ce qui se joue c'est à la fois l'accueil dans de bonnes conditions de tous les élèves scolarisés (en recherchant le meilleur équilibre en termes de ressources humaines, de matériels, de locaux et de dépenses publiques), la volonté de proposer un enseignement de qualité (qui passe par la mixité sociale) et un désir de sociabilisation (entre repli sur l'entre-soi et ouverture au monde). La carte scolaire ne permet pas la mixité scolaire et le libre choix renforce la ségrégation. Les autres politiques envisagées (sectorisation multi-collèges par exemple) n'en sont qu'au stade expérimental tant le sujet est sensible.
 
Noémie Le Donné prend de la hauteur et envisage la réforme du collège à l'aune des quelque 400 réformes éducatives mises en œuvre depuis 2008 dans les 34 pays de l'OCDE. Un tiers de ces réformes visent à « préparer les élèves au monde de demain » et utilisent les leviers des programmes, la prolongation des cursus et la lutte contre le décrochage. Elle détaille les réformes mises en œuvre en Allemagne ou en Pologne et les effets positifs du développement des filières générales longues qui ont permis à ces pays de progresser dans les classements PISA. Un argument de plus pour ceux qui pensent qu'une école unifiée et inclusive, qui minimise les écarts entre les différentes filières, donne de meilleures armes à la jeunesse pour affronter le monde qui vient. Et dont les réformes successives du système français auraient bien fait de s'inspirer.
 
En conclusion, François Dubet nous rappelle que le modèle traditionnel du collège en France s'est, en quelques années, fracassé sur les défis de l'allongement de la scolarité et de la massification. La question de savoir s'il devait être la première marche du lycée ou l'achèvement d'une école élémentaire n'a jamais été réellement tranchée. Collège « unique », il a pourtant multiplié à l'envi les outils de tri et de ségrégation des collégiens. La première chose à faire ne serait-elle pas de définir réellement ce que doit être le collège ?
 
 
Références :
François Dubet – Pierre Merle : Réformer le collège
Collection « La vie des idées » Éditions P.U.F - août 2016.
120 pages - 9€ - ISBN : 978-2-13-078548-4