Quels enseignements tirer des évaluations nationales ?
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Le ministère vient de communiquer les résultats des évaluations nationales CP/CE1/6e. Il en fait l’instrument de la mesure de l’impact de la crise sanitaire et du confinement sur les acquis des élèves. Un point est indiscutable et tristement sans surprise : la crise n’a pas affecté les élèves de manière égale et ce sont les plus fragiles socialement et scolairement qui ont le plus souffert.
Des évaluations toujours contestables
Proposées pour la troisième année consécutive, ces évaluations restent bien peu utiles aux enseignants et leurs résultats sont toujours à manipuler avec prudence. Le protocole et la façon dont elles sont construites ne permettent pas de confirmer ou invalider un pilotage qu’il soit national ou local. De plus, elles ne permettent pas aux enseignants de mieux mettre en œuvre une aide adaptée aux élèves qui en auraient besoin, les résultats arrivant début octobre. On reste donc sur un protocole lourd et coûteux avec une plus-value inexistante. Le seul intérêt, mais il ne répond qu’aux attentes des politiques, est de permettre de comparer les résultats d’une année à l’autre et d’identifier d’éventuelles évolutions. Reste néanmoins à en identifier les causes. Et là, chacun avance ses pistes d’interprétation en fonction de ses intérêts ou de ses convictions.
Un protocole qui s’améliore très lentement
Le ministère croit en ces évaluations, il y passe du temps, communique sur ce qu’elles apportent ou prouvent (la plupart du temps, rien que l’on ne sache déjà). Il prend néanmoins en compte les retours du terrain. Les évaluations s’améliorent, mais très lentement. Le protocole est moins lourd, les outils de connexion plus performants, mais le satisfecit du terrain n’est pas dithyrambique : seulement 36 % des enseignants (26 % en 2018) déclarent par exemple que l’infographie proposée leur a été utile pour la communication avec les parents.
Des résultats en cycle 2 qui ne nous apprennent pas grand-chose
Globalement, les résultats sont un peu moins bons à la rentrée 2020 par rapport à l’année passée, le confinement a évidemment empêché les élèves de CP et de CE1 de profiter pleinement d’un tiers de l’année scolaire. Pour des élèves qui n’ont que 3 ou 4 ans d’école derrière eux, il n’y a pas de surprise. La dynamique que la Depp avait remarqué l’an passé lors de l’évaluation de mi-parcours en CP a été annihilée par le confinement. Pour les mathématiques, la résolution de problèmes et l’exercice de positionnement des nombres sont ceux qui sont les plus chutés, que ce soit au CP ou au CE1.
L’adhésion des enseignants reste à gagner
En début de CP, pour l’ensemble des exercices, le taux d’accord des enseignants avec la pertinence des exercices proposés varie de 55 % à 79 %. Seul l’exercice de placement des nombres sur une droite numérique recueille un taux nettement inférieur (24 %), bien qu’en hausse par rapport à 2018 où il était à 15 %, on peut se demander pourquoi le ministère le maintient. Le fait que beaucoup d’exercices soient jugés moins pertinents en 2020 qu’en 2018 interroge quand même sur la façon dont le ministère travaille, que ce soit pour les CP (5 exercices jugés moins pertinents sur 12) ou les CE1 (9 exercices jugés moins pertinents sur 14).
Le satisfecit du terrain est plus quantitatif que qualitatif : la durée de passation est mieux approuvée par les enseignants entre 2018 et 2020 et l’outil de saisie des résultats s’est également amélioré.
Les enseignants s’interrogent, à juste titre, sur le fait de mettre en difficulté les élèves les plus fragiles dès le début de l’année avec des évaluations nationales dénuées de bienveillance alors qu’ils sont plus à même de mettre en œuvre des protocoles plus souples et à visée formative.
Les élèves de l’Éducation prioritaire, grandes victimes du confinement
Les grandes différences de résultats entre éducation prioritaire (EP) et hors éducation prioritaire apparaissent surtout en compréhension. Ce n’est pas une surprise, la maîtrise de la langue orale étant meilleure dans les populations les plus favorisées. Et pourtant, c’est sur la phonologie, et pas la compréhension, que le ministère demande que les enseignants mettent l’accent avant l’entrée en élémentaire. En mathématiques, c’est en résolution de problèmes que les écarts se creusent le plus, à nouveau les compétences nécessitant une démarche de raisonnement devraient être mises en avant, ce qui n’est malheureusement pas le cas lorsque tout tourne autour des fondamentaux. Les résultats en CE1 vont dans le même sens.
Les écarts se sont fortement creusés entre EP et hors EP depuis les évaluations de mi-parcours de février 2020 en CP, atteignant en moyenne 5 à 6 points. Les populations les plus éloignées de l’École sont bien celles qui en ont le plus besoin. Le travail à distance était complexe et souvent ce sont ces familles qui ont hésité le plus longtemps à envoyer leurs enfants de nouveau à l’école à la fin du confinement.
Un grand besoin de mixité
Le rapport sur les évaluations de sixième montre clairement les dégâts de la non-mixité sociale et de l’absence d’une politique soutenue contre les ségrégations scolaires. Dans les collèges les plus favorisés socialement, les taux de maîtrise s’élèvent à 95,9 % en français et 86,5 % en mathématiques alors que dans les établissements les moins favorisés, les taux de maîtrise sont respectivement de 75,3 % et de 50,3 %, pour le français et les mathématiques(*). La concentration d’élèves en difficultés sociales et scolaires ne peut que compliquer leurs apprentissages. Les enseignants se retrouvent à devoir gérer des difficultés multifactorielles qui pourraient être moins aiguës si une réelle politique de mixité était mise en œuvre.
Évaluations sixième : des explications à prendre avec des pincettes
Les résultats aux évaluations 6e sont meilleurs cette année qu’en 2019, aussi bien en mathématiques qu’en français. Cependant lorsque l’on regarde de plus près les mathématiques qui sont largement moins réussies que le français, on remarque que de nombreux exercices de mathématiques demandent un niveau de lecture assez performant. Ainsi, si les élèves ont des problèmes de compréhension, ils ne peuvent que chuter en mathématiques sans que l’on puisse savoir où en est réellement leur maîtrise de cette matière. Les nombreux pièges, que la Depp appelle des distracteurs, ne font que compliquer la réelle évaluation du niveau des élèves. On peut donc craindre un énième plan mathématiques alors que la compréhension de ce qui est demandé peut être le nœud du problème.
Le nouvel exercice sur la fluence introduit cette année n’a pas bien été réussi mais devoir oraliser rapidement un texte inconnu lors d’une telle évaluation ne peut qu’entraîner du stress chez beaucoup d’élèves et fausser leurs réelles capacités. À nouveau, on peut craindre un plan fluence qui serait éloigné de ce qu’est vraiment la lecture : comprendre.
Des élèves en progrès, mais pourquoi ?
Enfin, il est assez regrettable d’entendre le DGesco se féliciter des dispositifs mis en place au printemps dernier pour les futurs sixièmes ou les vacances apprenantes, pour justifier l’amélioration des résultats d’une année sur l’autre en début de sixième malgré la situation sanitaire. Ces dispositifs ont concerné très peu d’élèves. Il est sans doute plus probable que le confinement ait permis aux futurs sixièmes d’améliorer leur utilisation du clavier de l’ordinateur. À souligner aussi que la mise en œuvre des séquences était un peu plus simple et que les équipes ont été sans doute plus vigilantes, averties des écueils de la passation de l’an dernier qui avaient rendu les résultats largement inutilisables.
Si les effets du confinement sont au final très mesurés pour l’immense majorité des élèves, les enseignants, eux, savent bien pourquoi : garder le lien avec leurs élèves, leur faire aimer l’école, les intéresser, les faire réfléchir, leur donner des habitudes de travail. Cela prend du temps, demande de l’énergie et une confiance réciproque. Si cette confiance existe réellement entre les enseignants et leurs élèves, c’est loin d’être le cas entre les enseignants et le ministère, ce qui est problématique à l’ère de l’école de la confiance.
(*) Extrait de la note de la Depp sur les évaluations 6e - p. 31