Évaluations nationales : le libéralisme bureaucratique en marche

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Le déploiement des évaluations nationales CP/CE1/6e/2de à cette rentrée et l’annonce de probables nouveaux développements dans les années à venir par le ministre sont les révélateurs d’une approche libérale bureaucratique du pilotage de l’Éducation nationale.

Cette approche avait été jusque-là prudemment dissimulée, mais depuis les annonces CAP 2022 du Premier ministre et du ministre de l’Éducation nationale cet été, elle est de plus en plus assumée. Sans aucune plus-value pour les apprentissages des élèves et à rebours des attentes des personnels.
 

Nous disposons déjà de toutes les évaluations dont nous avons besoin
 
  • La DEPP produit depuis de nombreuses années des évaluations sur échantillon (CEDRE) qui permettent de connaître les acquis scolaires des élèves et nous participons à plusieurs évaluations internationales sur échantillon (PISA, PIRLS, TIMMS) qui nous informent des performances de notre système éducatif : ces évaluations fournissent suffisamment d’indicateurs pour un pilotage national du système.
  • Le CNESCO produit des données sur des thématiques choisies par les usagers en fonction de leurs besoins (par exemple, écrire et rédiger, la différenciation pédagogique, la lecture,…). Ces données, après un débat contradictoire entre experts et usagers, débouchent sur des recommandations élaborées dans des conférences de consensus. Elles sont ensuite diffusées auprès des usagers (les personnels de l’éducation principalement) qui peuvent s’appuyer sur elles pour améliorer la qualité de l’éducation.
  • Les écoles et les établissements disposent de tableaux de bord contenant de multiples indicateurs (réussite aux examens, maîtrise des compétences du socle commun, évaluations diagnostiques et bilans élaborées dans les circonscriptions et les réseaux, souvent en intercycles, taux de redoublement, orientation, qualéduc,…) qui permettent leur pilotage pédagogique.
  • Les enseignants disposent de nombreux outils d’évaluation et de nombreuses informations sur leurs élèves (LSU, évaluations élaborées en équipes, évaluations personnelles, cahiers des apprentissages, observation des élèves au travail, évaluations proposées dans les banques d’outils académiques ou nationales). Ils peuvent, en utilisant tous ces outils, adapter leur enseignement aux besoins identifiés de leurs élèves.

Alors, à quoi vont bien pouvoir servir les nouvelles évaluations ?
 
Le SE-Unsa formule trois hypothèses dont aucune n’est compatible avec « l’école de la confiance », la reconnaissance de l’expertise des enseignants, la construction d’une École démocratique et émancipatrice, facteur de cohésion sociale et d’épanouissement de chacun.
 
  • Hypothèse 1 : Le ministre n’a pas confiance dans la professionnalité des enseignants et ne croit pas qu’ils soient capables d’identifier les besoins des élèves qu’ils accueillent dans leur classe. Il faut donc leur imposer des protocoles nationaux.
  • Outre le mépris que cela implique pour les compétences des enseignants, cette démarche n’est pas efficace. Les retours de la DEPP sous la forme de profils individuels par grands domaines de compétences ne fournissent pas de renseignement précis sur ce que savent faire les élèves et surtout ne fournissent aucune explication sur les obstacles à l’apprentissage qu’il faut lever. Seule l’observation fine en situation peut permettre cette identification.
  • Hypothèse 2 : Le ministre compte sur l’effet « teach to the test » pour influencer la manière dont les enseignants travaillent en amont des évaluations.
  • Ceci pourrait être particulièrement vrai pour la grande section de maternelle. En effet, au ministère, on est convaincu que les enseignants de grande section pourraient faire beaucoup mieux en matière d’entraînement à la conscience phonologique.  Là encore, le manque de confiance est flagrant.
  • Hypothèse 3 : Le ministre impose peu à peu les outils nécessaires au « pilotage par les résultats ».
  • Des évaluations standardisées à l’entrée à l’école élémentaire, au collège et au lycée permettent d’établir une photographie de « l’état initial ». Il sera ensuite possible de calculer « la plus-value » apportée par chaque école ou chaque établissement. Et de rendre ces informations publiques. Alors, les familles qui en ont les moyens économiques et culturels pourront faire jouer la concurrence entre les unités d’enseignement. On pourra également se servir de cette « plus-value » pour attribuer les primes au mérite. Les effets pervers d’un tel système sont bien documentés : réduction de l’enseignement à ce qui est évalué dans les tests, entraînements plutôt qu’apprentissages, triche, stress, perte d’attractivité du métier d’enseignant, creusement des inégalités entre établissements,… Au point que plusieurs pays reviennent en arrière et que l’OCDE incite ses membres à y renoncer.
 
Le SE-Unsa demande que les évaluations diagnostiques ne fassent pas l’objet d’un protocole national avec remontées nationales mais que le ministère développe les banques d’outils d’évaluation mises à la disposition des équipes.

Il s’oppose à la publication de résultats permettant la comparaison entre écoles et établissements. Il soutient le CNESCO dans ses travaux porteurs d’une évaluation démocratique et utile aux enseignants.

Il souhaite que les écoles et les établissements soient mieux accompagnées pour définir des indicateurs qui les aident à améliorer leur action (mixité sociale et scolaire, bien-être des élèves et des personnels, vie scolaire, épanouissement social et culturel, valeurs partagées,…) et qu’ils disposent de moyens réels pour construire des solutions aux difficultés qu’ils auront identifiées.